Il y a dans les entreprises (et ailleurs aussi, bien sûr) des mots usés.
Des mots maltraités. Des mots abimés. Des mots dont le sens s’est distordu, dilué, perdu, retourné, parce qu’ils ont été mal utilisés, mal nourris, mal accompagnés. Des mots ambitieux qui finissent par faire sourire, par être moqués, par entraîner l’ironie quand ils espéraient emporter l’adhésion… Des mots qui se sont usés à force d’être utilisés comme des « commodités » : ainsi peut-il en être, par exemple, du mot « sens », du mot « vision », du mot « valeurs » (quand il est au pluriel, bien sûr, parce qu’au singulier, ça peut être une autre histoire…).
Implicite ou explicite, notre système de valeurs inspire nos choix et nos décisions. C’est lui qui donne des repères, de la cohérence, du sens, de la consistance à notre vie. Lui qui nous fait aimer, craindre, détester, agir, réagir… Nous serions pourtant, pour la plupart d’entre nous, bien en peine de décrire à l’improviste celui qui rythme notre vie. D’expliquer, pour nous-même et pour les autres, ce lien vital et fragile entre ce que nous croyons et ce que nous faisons. Et d’assurer qu’il soit toujours bien tendu…
Nous aurions sans doute aussi du mal à distinguer, parmi nos valeurs, celles que nous avons véritablement choisies, en conscience, de celles qui se sont imposées à nous en empruntant les chemins mystérieux de nos émotions, de nos sensations, de nos croyances…
Ainsi en est-il de l’entreprise : bien qu’il soit un moteur puissant de sa stratégie, son système de valeurs est loin d’être toujours explicite, choisi et piloté. Mieux encore, il est rarement celui que l’on croit ou que l’on voudrait…
Pour comprendre le système de valeurs d’une entreprise, trois niveaux doivent être distingués :
• Les valeurs affichées : elles apparaissent dans les grandes occasions, dans la communication institutionnelle, dans la plaquette, le site internet, le rapport annuel. Elles sont proclamées. Elles s’adressent à l’environnement.
• Les valeurs idéales : ce sont celles que, par exemple, un comité de direction choisit dans le cadre d’une réflexion sur l’identité et la stratégie de l’entreprise pour en faire un moteur de l’action collective. Elles font souvent l’objet d’échanges, de débats, de partages. Elles sont « poussées ». Elles s’adressent principalement aux collaborateurs.
• Les valeurs effectives : ce sont les valeurs réellement à l’œuvre dans l’entreprise, celles qui expliquent et déterminent effectivement les comportements, les choix, les décisions. Elles sont rarement identifiées et nommées ; elles sont le fruit du croisement entre forme de rationalité et état émotionnel dominants dans l’entreprise. Elles ne s’adressent à personne. Elles sont là et elles agissent. Ce sont les vraies valeurs de l’entreprise.
Manager par les valeurs, c’est aligner ces trois niveaux de valeur en un seul système utilisable à 360° :
1. Transformer vos valeurs idéales (qui ne sont que des objectifs) en valeurs effectives :
• travailler non seulement sur les raisons pour lesquelles on agit : ce qui est bon ou préféré d’un point de vue rationnel,
• mais aussi (et surtout…) travailler sur l’état émotionnel et ce qui en découle : ce qui touche, ce qui plait, ce qu’on aime, ce dont on a besoin… et qui produit les valeurs les plus ancrées
2. N’afficher que des valeurs véritablement à l’œuvre dans l’entreprise… ou s’abstenir de communiquer sur ce thème.
Si les valeurs peuvent être un puissant moteur de l’action collective, leur absence ou leur mauvais traitement peuvent être des freins tout aussi puissants :
• car tout écart entre valeurs idéales et valeurs effectives produit lassitude, perte de confiance, désengagement passif
• et tout écart entre valeurs affichées et réalité produit ironie, détachement, désengagement actif.
L’affichage de valeurs non effectives et l’idéalisation de valeurs jamais appliquées ne seraient-ils pas les premiers facteurs de perte de sens du mot « valeurs » ?